vendredi 16 mars 2012

Sacrifice : le moyen de la justice

Je sais : le sacrifice a mauvaise presse. Et cela depuis longtemps. Quand j'étais adolescent, j'ai découvert avec... horreur que la messe est un sacrifice. J'allais très régulièrement (et somme toute assez pieusement) à la messe chaque dimanche et je n'avais jamais entendu dire que la messe puisse être un sacrifice. Ce mot, la première fois que je l'entendis, me parut presque obscène. D'un autre âge. Et aussi revêtu d'une sorte de cruauté. Seulement voilà : c'était un petit opuscule appartenant à ma chère mère : "Le sacrifice de la messe par saint Léonard de Port-Maurice". Ce saint-là devait bien avoir raison. A 'époque, je n'ai trouvé que les traditionalistes pour m'expliquer en quoi la messe est un sacrifice.

C'était à cette époque (en 1978 si ma mémoire est bonne) qu'est paru le livre de René Girard, Des choses cachées depuis la fondation du monde, dans lequel l'auteur s'insurgeait contre la vision sacrificielle du christianisme. Il en tenait pour l'Epître aux Hébreux expliquant que le sacrifice avait eu lieu une fois pour toutes au Golgotha et qu'on en était débarrassé. Nous n'avions, dans ce collège catho sympa aucune instruction religieuse (pas prévu au programme ce cours là), mais le bouquin de Girard, oui, on en avait entendu parler.

Ce qui est intéressant - et trop peu connu - c'est que René Girard est revenu sur ces considérations antisacrificielles. Dans Celui par qui le scandale arrive. Dans Les origines de la culture. Dans un petit opuscule intitulé tout simplement Le sacrifice. Mais ce sont ses textes de 1978 qui continuent à faire autorité. Le christianisme serait la religion de l'absence du sacrifice... Bref, comme l'a montré Jean Pierre Osier [Faust Socin ou le christianisme sans sacrifice], il faudrait que nous soyons tous sociniens... La vérité du christiansme serait dans le socinianisme...

Ce qui m'a particulièrement intéressé dans les textes d'Ignace d'Antioche, deuxième successeur de Pierre sur le siège d'Antioche où le nom de "chrétien" a été inventé, c'est qu'il n'hésite paxs à interpréter son propre martyre comme un sacrifice propitiatoire, en union avec le Christ crucifié (voir notre Billet : Porteurs de Dieu), dont le sacrifice est donc bien  aussi un sacrifice propitiatoire. Il ne s'agit pas seulement pour Jésus de nous montrer son amour, mais aussi de nous montrer une nouvelle manière de rétablir la Justice divine dans l'univers marqué par le péché et par les trois concupiscences (de a chair, des yeux et de l'orgueil). Lui même a souffert à notre place, il a, en quelque sorte dans sa chair accompli la justice divine. A nous de l'imiter.

Au lieu de procéder, après diabolisation, au solennel sacrifice de l'autre, bous émissaire de nos propres fautes, nous essayons de nous offrir nous-mêmes, comme le Christ. Cet amour est la seule réponse au mal. Cette Justice rétablie par amour est la seule justice qui tienne dans un monde foncièrement indifférent à la justice. Le sacrifice est la seule arme de la Justice. C'est lui qui nous défend contre la puissance du mal.

Regardez Jeanne d'Arc : parfaitement consciente des risques qu'elle prenait. "Je n'en ai que pour un an" dit-elle au beau Duc d'Alençon. Son sacrifice sur le bûcher, de manière christique, nous a tous donné raison, nous les Français ; il a été la plus lourde défaite de l'Anglais. Plus que Patay. Plus que les Tourelles. Rouen, sacrifice, qui, dans l'horreur, rend à la Justice son droit. N'est-ce pas cela qui a détaché la Bourgogne de l'alliance anglaise dès 1434 ? En brûlant la sorcière, les Anglais ont perdu toutes chances de s'installer en France durablement. Ils se sont donnés tort à eux mêmes. Sans l'inflexible courage de Jeanne, irréprochable face à ses juges comme face au "Milourd" qui essaie de la forcer, sans son silence sur le silence de son roi, sans son sacrifice, les Français perdaient la Guerre. La victoire anglaise était plus logique. Le sacrifice - le sacrifice de soi - a été plus fort dans le temps.

L'arme de la Justice véritable - Pascal l'avait bien vu - ce ne peut être la force. C'est l'amour. L'amour seul protège contre le mal et défend efficacement ceux qui s'en réclament.

5 commentaires:

  1. Merci pour ce beau texte M. l'abbé !
    Il m'évoque le sacrifice des Glières, celui (offert à l'avance) des chrétiens Tom Morel et du capitaine Anjot, qui, par sa pureté, a donné définitivement ET ses lettres de noblesse à la Résistance Française ET a jeté la honte sur les hommes de la Milice qui traquaient et torturaient des Français au côté de la Wehrmacht. Bien à vous in Christo. Bruno P.

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  2. je vous tire mon chapeau, monsieur l’abbé, pour ce billet. Je précise que cette question du sacrifice, depuis mon retour à la foi il y a vingt ans, ne m’a pas échappé bien que je ne sois pas traditionaliste. J’ajoute que Vatican II a ouvert une piste pour faire comprendre cette dimension sacrificielle de notre vie chrétienne dans les quelques développements concernant le sacerdoce des baptisés ou sacerdoce commun (développements heureusement prolongés par des travaux de théologiens, comme l’excellent ouvrage de Mme Brudere : « Je me sens la vocation de prêtre. Enquête sur le sacerdoce commun chez Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face » (éd. du Cerf, 2008).
    A cet égard, je serais heureux que vous vous détachiez un instant de la spécificité de votre sacerdoce ministériel pour examiner ce que vous avez vécu et vivez aujourd’hui au titre du sacerdoce commun des baptisés. Du moins ce que vous pouvez en partager avec nous sans trahir ce « secret du Roi » qui caractérise toute rencontre personnelle avec Jésus-Christ.

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  3. Qu'il me soit permis de cîter un extraît de la dernière lettre lettre (à sa soeur, Madame Régnier, 28 Août 1941) du LV Honoré d'Estienne d'Orves, la veille de son exécution, au Mont Valérien, à laquelle cette méditation particulièrement profonde, ainsi que la précédente "Porteurs de Dieu" me font songer:

    "Je ne vous demande pas de prier pour moi, je sais que vous le ferez. Pensez que la prière pour les morts rapproche les vivants de Dieu, et par là est bonne. Que l'on continue à faire dire une messe par semaine à Verrières pour les morts de la famille.

    Maintenant, je vais dormir un peu. Demain matin nous aurons la messe.
    Que personne ne songe à me venger. Je ne désire que la paix dans la grandeur retrouvée de la France.

    Dites bien à tous que je meurs pour elle, pour sa liberté entière, et que j'espère que mon sacrifice lui servira.

    Je vous embrasse tous avec mon infinie tendresse.

    Honoré"

    fin de cîtation

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  4. Magnifique lettre Thierry... Nous les catholiques de Tradition devont aussi nous réapproprier l'héritage de la Résistance à l'occupant nazi. De nombreux prêtres qui ont résisté (contre leur hiérarchie de l'époque ;-)...) se sont retrouvés dans le combat pour la liturgie tridentine. A titre d'exemple je citerai le chanoine Roussel, Mgr Ducaud Bourget et l'abbé Greffier organisateur (dès 1940) de la résistance en vallée de Thônes (qui a apporté le soutien logistique au maquis des Glières)...Bruno P.

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  5. Non Bruno! C'est moi qui vous remercie d'avoir parlé des Glières, et de la Résistance Française (la vraie, pas celle des tristes pages de "l'Épuration", ou des vrais-faux actes de résistance qui n'étaient dus qu'à de vils objectifs idéologiques et n'entraînèrent que plus de persécutions d'innocents, comme l'éxécution souvent sans bien grand risque, pour son auteur, d'un officier allemand, se promenant dans la rue et isolé), alors que nous sommes toutes et tous, ce soir de deuil national (je ne sais s'il est officiel mais le mériterait), horrifiés par la tuerie d'enfants français, de confession juive, survenue ce matin à Toulouse, et succédant au meurtre de soldats français, d'origine arabe, pour deux d'entre eux, et de race noire pour le troisième (mais je crois que ce dernier est Dieu soit loué! toujours en vie, je ne parviens pas à trouver de ses nouvelles) à Montauban, dans des conditions d'une rare ignominie.

    Pour ma part, j'avais à coeur, de vous suivre, en cîtant le LV Honoré d'Estienne d'Orves, l'un des premiers héros de mon enfance, à l'âge d'avant l'apprentissage de l'Histoire et des raisonnements. Je l'avais découvert dans un journal, qui parlait du Général de Gaulle, et - je ne sais pourquoi - sa photo resta des mois, étalée sur mon petit bureau, parmi les publications enfantines que l'on demande à Papa et Maman de vous acheter, quand on a huit ans...

    Cordialement,

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