samedi 10 décembre 2011

Isaïe m'embarrasse...

Je vous avais promis une méditation chaque jour, mais, c'est vrai, Isaïe m'embarrasse... Que peut-on tirer de ces longues malédictions... et de ces rares bénédictions ?

"Vous serez comme un térébinthe dont les feuilles sont flétries et comme un jardin qui n'a pas d'eau. L'homme robuste deviendra l'étoupe et son oeuvre l'étincelle. Ils brûleront tous deux ensemble et il n'y aura personne pour l'éteindre" (Isaïe 1, 30-31).

Que signifient ces menaces ? Nous prend-on pour des enfants ? Veut-on nous ramener à un âge archaïque de l'histoire de l'humanité, alors que nous sommes des adultes et que, non, on ne nous parle pas comme ça...

C'est qu'on suppute un Dieu à notre image, sans cesse en train de tenir une comptabilité de nos faits et méfaits... Comme s'il en était à "ça" près. Voyez le Bon larron. On l'appelle bon ; il était larron : "pour nous c'est justice", cette crucifixion, dit-il à son collègue. Et de s'adresser au Christ : "Souviens toi de moi quand tu seras en ton Royaume" C'était un grand pécheur. sa foi, son audace, sa charité ont couvert une multitude de ses péchés. "Ce soir tu seras avec moi". Dieu ne tient pas de comptes d'apothicaire, nous rappelant sans cesse la menue faute que nous n'avons pas accusée en confession. Il sonde les reins et les coeurs. Il juge chacun en fonction de ce qu'il est... c'est-à-dire en fonction de ce que ses actes ont fait de lui.

Pourquoi Isaïe nous parle-t-il de flétrissure, de ruines, de châtiments ? Non pas parce que Dieu punirait pour le plaisir, mais parce que ces phénomènes sont les conséquences objectives de nos péchés, de l'état de péché dans lequel nous nous débattons. "Que le péché qui nous dévore laisse en nos coeurs peu de substance" gémissait l'abbé Donissan dans le Soleil de Satan (Bernanos). Le péché nous détruit ; la grâce et l'obéissance à Dieu nous construisent.

La vie spirituelle ne consiste pas à s'enfermer en soi même, mais à se connaître pour se fuir de façon plus vraie. Cette connaissance de soi n'a rien à voir avec je ne sais quel repli frileux sur soi. Elle passe par une conscience des événements qui traversent notre vie et par une aptitude à prendre, en fonction d'eux, les décisions qui s'imposent. "Les événements, dit Dieu, c'est moi, c'est moi qui vous aime"

Nous avons conscience assez vite de faire fausse route. Pour ne pas nous flétrir ou nous réduire à l'état d'étoupe qu'une simple étincelle, un menu méfait peut allumer, il faut que nous soyons capables - conscience prise de notre méfait - de changer de route. Souplesse, c'est la vertu des bons, qui reçoivent les leçons de l'événement. Entêtement, aveuglement, endurcissement, addiction, ce sont les effets du péché. Dieu nous punit? Non. Nous nous punissons nous-mêmes et Dieu nous avertit : acceptons nous d'entendre cet avertissement?

Isaïe m'embarrasse moins vu comme ça. Ce qu'il nous enseigne, c'est que la vie spirituelle ne consiste pas à vivre emmuré, claquemuré en soi-même, sans jamais oser sortir la tête. Au contraire. Nos grands instituteurs sont les événements, attentivement observés et convenablement analysés. "L'instant est l'ambassadeur de la grâce divine" disait le Père de Caussade. Sommes nous capables de sortir la tête et de recevoir cette ambassade là, avec tout le respect qu'elle mérite ? Sommes nous pétrifiés dans nos positions de toujours ou sommes nous capables de recevoir "le signe venu du figuier". Dans la vie spirituelle en définitive, tout est affaire de temps. "Il y a un temps pour rire et un temps pour pleurer" écrivait l'Ecclésiaste. Il ne croyait pas si bien dire...

La vie spirituelle n'est pas un gloubi boulga d'idées plus ou moins claires et sans cesse remâchées. Elle consiste, on nous le répète depuis plusieurs dimanche, à observer les événements pour reconnaître les signes de Dieu. Les malheurs ? ce sont des signes. Et les bonheurs ? Aussi. Comme disait la petite Thérèse, 24 ans, docteur de l'Eglise, "Tout est grâce" ; chaque événement porte une grâce qu'il nous faut apprendre à découvrir avec amour. Dieu veut notre salut plus que nous ne le voulons nous-mêmes. Tout ce qu'il nous envoie va, d'une manière ou d'une autre, dans le bon sens.

Jeanne d'Arc avait fait de cette conviction que la vie spirituelle consiste dans l'observation attentive des événements et des signes de Dieu l'une de ses grandes devises spirituelles : "Prends tout en gré". Si Dieu est derrière chaque événement, comment ne pas... prendre tout en gré ? C'est ce que l'on peut appeler prendre la vie du bon côté : du côté éternel, du côté par où l'éternité divine l'a scellée.

2 commentaires:

  1. "Dieu ne tient pas de comptes d'apothicaire, nous rappelant sans cesse la menue faute que nous n'avons pas accusée en confession. Il sonde les reins et les coeurs. Il juge chacun en fonction de ce qu'il est... c'est-à-dire en fonction de ce que ses actes ont fait de lui."

    Cette phrase est admirable : il faudrait la proclamer partout.

    Bravo pour cette médiation à partir d'Isaiah(comme on dit en anglais ; j'en ai marre de la distinction française Esaïe, Isaïe)

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  2. Sous la plume d'un prêtre orthodoxe : Alexandre SCHMEMANN (Journal 1973-1983 - Dimanche, 11 octobre 1981):

    ""Aujourd'hui, j'ai confessé jusqu'à la Grande Entrée, tant il y avait de gens désirant se confesser. Je pense parfois que le sentiment des "fautes commises", sentiment qui ne cesse de s'amplifier, a fortement affaibli le sentiment, la compréhension, la conscience du péché. S'est affaibli le cri évangélique: "J'ai péché contre le Ciel et contre Toi!" (Lc 16,21) Et s'est renforcé le sentiment de mes manquements, de mes faiblesses, qui n'est rien d'autre que de l'introspection. Le péché, c'est avant tout une infidélité par rapport à l'Autre, une trahison. Mais, depuis longtemps déjà, le péché a été ramené à la morale. Or, rien plus que la morale n'éloigne de Dieu, de la soif de Dieu.
    (...)
    Réduit à une morale, à une norme, le christianisme n'est pas praticable puisque aucun des commandements du Christ n'est praticable sans l'amour pour le Christ: "Si vous M'aimez, vous observerez Mes commandements." Il existe un type d'homme "scrupuleux" qui court à la confession parce qu'il ne supporte pas la moindre petite tache, comme ne la supporterait pas un dandy sur son beau costume. Mais ce n'est pas du repentir, c'est plutôt le souci d'être "quelqu'un de bien". D'un saint on ne dirait pas que "c'était quelqu'un de très bien". Le saint n'aspire pas à être correct, propre et "sans défaut", il aspire à l'union avec Dieu. Il ne pense pas à lui-même, il ne vit pas du seul intérêt pour lui-même (l'introspection de l'homme "scrupuleux") mais il vit de Dieu.
    La morale est une orientation vers son "moi". Dans la vie ecclésiale, lui correspond la conformité à l'ordo. Mais on ne trouve pas en elle le trésor dont il est dit "où est votre trésor, là sera votre coeur". L'Eglise: sa vocation n'est pas dans la morale, mais dans la révélation et le don du trésor. """"

    Ailleurs, il parle de la "séduction démoniaque" qui saisit presque nécessairement les "spécialistes de la vie spirituelle".

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