vendredi 1 juillet 2011

N'ayons pas peur du style !

Mère Angélique Arnauld
par Philippe de Champaigne
Je lisais pour me détendre une biographie d'Angélique Arnauld, toute en syntonie avec son terrible et désarmant modèle. C'est celle que l'on doit, chez Fayard, à Fabian Gastellier (et que je dois moi au bon goût de mon bouquiniste préféré, boulevard de Vaugirard, parce qu'elle est épuisée depuis longtemps, étant parue en 1998).

J'aime la plume d'Angélique, son sens de l'essentiel, sa manière de ne jamais tourner autour du pot, et puis aussi ce mélange détonnant que constitue une absence totale d'illusion sur soi-même et une ambition spirituelle à nulle autre pareille. Saint François de Sales, le modèle des directeurs spirituels au Grand siècle, a approché cette femme peu commune, qu'il tenait à appeler sa fille : "il n'y aura plus en moi de "Monsieur" pour vous [à l'époque on dit Monsieur de Genève], ni en vous de "Madame" pour moi. Les anciens, cordiaux et charitables noms de père et de fille sont plus chréties, plus doux et de plus grande force pour témoigner la dilection sacrée que Notre Seigneur a voulue entre nous"...

Simple attachement spirituel ? Sans doute, mais qui s'étend à toute la famille en cette année 1620 : "Je suis inséparable d'affection d'avec vous et votre famille bénite de Dieu" écrit François de Sales à Mère Angélique. A l'époque, notre héroïne, quatrième enfant d'une fratrie qui en comptera 20, est une jeune fille de 30 ans à peine (elle est née en 1591), qui, après avoir rétabli la Règle de saint Bernard dans son propre monastère de Port-Royal, s'attaque à Maubuisson à la gouvernance... libertine de son homonyme Angélique d'Estrées, en venant au nom du Roi prendre la direction de ce Monastère problématique. 32 religieuses de Maubuisson viendront gonfler les rangs de Port Royal après le départ d'Angélique Arnauld. C'est dire le "charisme" de cette religieuse si simple, mais si terriblement entière.

En lisant Fabian Gastellier, je tombe en arrêt devant cette sentence de saint François de Sales (p. 131). L'évêque de Genève écrit à Angélique : "Accoutumez vous à parler de tout bellement, et à aller, je veux dire marcher, tout bellement. A faire tout ce que vous ferez doucement et tout bellement... et vous verrez que dans trois ou quatre ans, vous aurez rangé tout à fait cette si subite soudaineté".

Vous aimez la "si subite soudaineté" qui fait le fond du caractère d'Angélique, née Jacqueline Arnauld ? François de Sales a du style... et de la psychologie. Il a bien compris à qui il avait affaire : "Je vous connais, à mon avis fort entièrement" lui écrit-il aussi. "Animez continuellement votre courage d'humilité et votre humilité, c'est-à-dire votre misère et le désir d'être humble, animez les de confiance en Dieu, de sorte que votre courage soit humble et votre humilité courageuse".

A l'époque on n'oubliait jamais le courage. Et en tout cas cette "vaillance" comme spontanée est comme la marque de fabrique de Port Royal. Mais il fallait rappeler l'humilité, c'est vrai ! Aujourd'hui, on se perd volontiers dans ce que l'on croit être l'humilité et qui n'est que l'autre nom de l'irresponsabilité. Et l'on oublie volontiers qu'il n'y a pas d'humilité vraie qui ne soit courageuse... qui ne sache faire front. De préférence (c'est là tout le paradoxe) au premier rang.

Il faut aller "bellement" dit et répète de diverses manière Monsieur de Sales. Aller bellement ? Au siècle des Mousquetaires, n'est-ce pas comme un premier esthétisme ? Non ! Cette esthétique n'est pas une fin en soi, c'est la fine fleur du christianisme. Il m'arrive de penser que le Père Theobald a raison de s'intéresser au "christianisme comme style", selon le titre de sa monumentale synthèse. "Vivre en beauté" répétait le Père Spicq après saint Paul.

Au fond le christianisme ne nous apprend pas ce qu'il faut faire et ce que l'on doit éviter : notre conscience suffit à cette tâche. La loi naturelle est en nous. Quant à la Loi nouvelle, quant à la Loi chrétienne, elle nous apprend avant tout comment faire le bien : avec élégance, c'est-à-dire avec humilité. Avec efficacité, c'est-à-dire avec charité. Bene bona facere dit saint Augustin à Julien d'Eclane : bien faire le bien. Voilà le style. Point superflu ! Le style c'est l'homme ! Le Christ nous donne d'avoir un style, dit Theobald. Il se serait bien entendu avec Mère Angélique !

Seigneur donnez du style à ceux qui n'en ont pas et vos disciples seront terriblement attirants, ils porteront en eux ou avec eux le parfum de vos enseignements. Ce parfum là n'est pas un cosmétique, un arrangement, une manière de tricher avec la nature ou de ruser avec la sueur, non ! Le parfum de Jésus Christ ! Un signe ostensible, sans doute, mais inaliénable. In odorem ungnentorum tuorum currimus ne craignent pas de dire les jeunes filles du Cantique. Ce parfum là, c'est le comble du raffinement : la fleur de notre être. Voilà le style selon Theobald.

Qu'est-ce que vivre en chrétien ? Vivre bonnement ? Pas seulement.Plutôt comme dit Monsieur de Sales, vivre "bellement". N'ayons pas peur du style !

2 commentaires:

  1. merci pour ce"sauvetage" de l'Humilité, la Grande Humilité !!!...combien de fois ai-je du grogner, à feue l'"éducation" ex "nationale" contre cette utilisation blasphématoire du grand mot catholique par des gens qui le confondaient avec l'absence d'ambition..L'humilité des carpettes, ventre à terre (humus) !
    Et de rappeler que la Très Sainte Vierge Marie, l'humble par excellence, l'humilité faite femme, ne fut "terre" que pour mieux recevoir la plus sacrée semence!!! Et donc fructifier à plein !
    Pour le reste, j'avoue que je ne sais pas ce qu'est la "loi naturelle " ni la "conscience" (1).
    heureux ceux qui ont cela pour se guider.
    Moi j'ai besoin de la grâce même pour les plus petits détails de ma vie (2) déboussolée par toutes les révolutions ( mais surtout l'ecclésiastique !!! dite " conciliaire"..est-ce une caractérisation suffisante, j'en doute).
    Le " bel et beau" des hautes époques ne se retrouve aujourd'hui que dans la bouche (??? gueule, mufle? ) de la Crapule ( Delanoe et les autres: voir leurs voeux de " belle année" etc )...
    Et là, j'attends encore le sauvetage, car cela me paraît bien plus problématique. Pas tant à cause de l'esthétisme ( ou du stade esthétique , à la Kierkegaard) qu'à cause de ce qui est advenu de l'art, de la littérature, de la poésie au siècle passé finissant ..


    (1) et encore souvent ne me paraît- elle pas suffisante pour faire face aux épines de nos chairs mondialisées...

    (2) quand ma conscience se formait encore, on m'a fait lire Joseph Gabel " la fausse conscience"... et d 'autres. ma" conscience "en fut faussée à jamais ...

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  2. Je reconnais dans ce "style" les jeunes d'Adveniat en train d'évangéliser dans la ville d'Ermont (95). Ils n'auraient jamais pensé il y a 5 ans qu'ils seraient envoyés au milieu des SDF, des Musulmans, des exclus (Africains Chrétiens) du Val d'Oise.
    Non, cette jeune Fraternité lancée par un séminariste, d'origine egytienne Copte, avec des amis il y a 5 ans, se voulait missionnaire auprès des jeunes.
    Elle l'est d'ailleurs car cette mission de 30 à 50 jeunes se vit dans la piété et la profondeur d'une foi qui n'évacue rien du vrai sens de la vie et de la mort, du péché et du combat spirituel. Enracinée dans les trois "blancheurs" (Eucharistie -Adoration nuit et jour, église ouverte; Vierge Marie; amour du saint-Père).
    Pourquoi vous en parler?
    Non, ce n'est pas pour en faire la promotion, puisque cette mission s'achève ce w.e. mais pour vous dire que nous, leurs parents, au sein de nos mouvements de "combat" pour le Christ qui nous ont si bien portés et parfois sauvés (M.J.C.F. et autres Etudiants Catho d'Assas ou d'ailleurs), nous manquions finalement de style!
    Les jeunes d'Adveniat rayonnent littéralement, pieux, très joyeux, calmes, sans critique, sans acrimonie, ils ont ce "plus" qui nous manquait peut-être, nous qui nous situions certes dans la foi mais aussi dans la lutte, ce "vivre bellement" qui a pour nom : CHARITÉ.
    Ne vous méprenez pas : ils sont autant rejetés que nous de notre temps, par les paroisses jalouses, conformistes et vieilles, qui -toujours aussi bêtement que de notre temps- au lieu de bénir le Ciel pour cette grâce, cet apport de jeunesse et de lumière- les persécutent (littéralement : cela va du refus de leur donner les clés d'une petite cuisine au "rapport à l'évêque" parce qu'ils ont accueilli des pauvres dans les locaux; refus de participer aux évènements, de prêter un matelas, campagne de désinformation, parce que des prêtres accompagnateurs portent une soutane). "Cela coûte cher aux Conseils Economiques" ; "ils viennent nous donner des leçons" et autres gracieusetés. Mais vous connaissez tout cela.
    Leur "plus" à eux, c'est cette ouverture d'esprit, cet accueil des autres, oui, c'est cela la fleur, le beau parfum du christ. Rendons grâce à Dieu et accueillons les signes d'Espérance donnés par l'Esprit-Saint qui souffle dans les rues du Val d'Oise sans peur et sans reproche!

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