mercredi 27 avril 2011

Divagations autour d'Harnack

En allant célébrer les obsèques de ma grand mère à Nantes, où le curé de Saint-Clément, en mémoire d'elle je crois, m'a servi la messe avec une extrême gentillesse, je me suis plongé dans un livre que je m'étais fait offrir mais dont j'ai longtemps différé la lecture, le Marcion d'Adolf von Harnack.

Chez ce protestant libéral d'origine luthérienne, vivant au début du XXème siècle, je trouve ce bel hommage rendu à la catholicité : "Jusqu'aujourd'hui, la tâche la plus noble des Eglises catholiques fut et reste de maintenir pour la religion chrétienne l'entière plénitude du capital religieux, surtout la complexio oppositorum (l'union des contraires), et ainsi cette universalité religieuse sans exemple. Toute l'histoire des dogmes s'est développé à partir de cette tâche [le garde le dépôt de saint Paul à Timothée] L'ordonnancement du culte et du système d'absolution s'est organisé en fonction d'elle. Tout ce matériau, à aucun degré de son développement ne pouvait devenir religion privée. Un individu si profond soit-il ne pouvait retirer de cet ensemble complexe antithétique que certains éléments susceptibles d'être utiles à sa vie intérieure. Il ne pouvait exprimer que respect et obéissance face à ce tout etc."

La thèse d'Harnack, c'est que Marcion, au IIème siècle, a schématisé et hellénisé ce prodigieux et multiforme dépôt, reflet de ce que saint Paul appelait "la sagesse de Dieu en sa riche diversité" et qu'en cela il s'est contenté de radicaliser Paul. Je crois que l'on peut démontrer aisément aujourd'hui à M. v Harnack qu'il n'y a pas de "christianisme pur" et que moins qu'un autre Paul, rabbin pharisien devenu messianiste, a succombé à cette tentation.

En le lisant, je pensais à l'extraordinaire coming out que nous a fait Bernard Bourgeois à la Sorbonne à l'occasion de cette manifestation qui s'appelle le Parvis des gentils. Voilà un hégélien comme il n'y en a pas ! Et son objectif est de rationaliser le christianisme en le faisant passer par les propylées de sa dialectique nécessitante. On ne sait plus, en l'écoutant attentivement, s'il vaut mieux admirer la conversion de ce grand métaphysicien hégélien ou détester ce passage de la foi dans la moulinette dialectique.

Rendre le christianisme clair et distinct, c'est la grande tentation de tous les temps, celle des Sociniens à la fin du XVIème siècle, celle aussi dans une certaine mesure du concile Vatican II. Ce genre d'adaptation simplification a toujours été un four. Voyez les chrétiens progressifs au début du XXème siècle : ils échouent. Voyez les intégristes, simplificateurs d'un autre genre, ils ne parviennent pas à se faire entendre dans les discussions "doctrinales" parce que ces discussions deviennent idéologiques.

La foi se réfère avant tout à ce qu'Harnack appelle "le capital" des traditions qui le mènent jusqu'à nous. S'en prendre à ce capital baroque des traditions catholiques, rationaliser, se fermer, n'accepter que tel aspect de la foi c'est sortir du christianisme réel.

7 commentaires:

  1. Monsieur l'Abbé,

    Acceptez tout d'abord mes sincères condoléances et ms prières pour le décès de votre grand-mère.

    Votre article est remarquable et jadère tout à fait à la thèse d'Harnack : sans le catholicisme la religion chrétienne se serait effondrée.En effet c'est le catholicisme qui maintient ferme l'intégralité de la foi chrétienne et empêche qu'elle ne devienne une religion séculière. En fait les autres religions se positionnent par rapport au catholicisme mais n'apportent rien de nouveau au christianisme.

    Je prends un exemple : les calvinistes en sont restés à Calvin mais depuis ne nous ont rien offert de plus, alors que dans le catholicisme la pensée a progressé notamment grace à la promulgatio de nouveaux dogmes et de nouveaux textes plus en rapport avec la pensée moderne.

    Pour ma part je pense que le Concile Vatican 2 a apporté beaucoup de choses et que les catholiques qui ne pensent que par le Concile de Trente sont semblables à ces calvinistes scotchés à la prédestination.

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  2. Entre rationaliser et rendre raison, il y a une nuance.
    entre la coïncidence des opposés, la dialectique ratiocinante, la confusion et le Barnum spectaculaire aussi .
    le baroquisme ne mord pas plus sur le réel déchristianisé que le rationalisme socialisant...
    devant le tapage interne( béatification du SS, le Subito Santo différé, JMJ, concélébrations, grandes concentrations en un point pour cacher la désertification globale)) et les tapages externes( piss christ, piss shoah, piss mahomet, piss talmud, piss bouddha, piss culte de la personnalité, piss personnalisme, piss droits de l'homme etc ).... je n'ai plus qu'un désir : me renfermer dans le silence où je pourrais crier à tous le "kérygme":Dieu vous a créés pour le voir éternellement de vos yeux de chair ressuscitée, avec toutes les sociétés humaines et la nature renouvelées de fond en comble.. Gardez Ses commandements (dans votre vie privée comme publique) ou damnez-vous en refusant cela ( damnez-vous en ne le proclamant pas, comme tant de "pasteurs" qui parlent de tout sauf de cela ...)
    mais ne venez pas nous encombrer avec tous vos falbalas qui tournent autour du pot sans nous mettre en chemin de croix et jouissance du Coeur de Dieu ..pour sa gloire !!!

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  3. Ce qui reste de vrai dans les autres religions,(je dirais à la carte), c'est toujours à l'Église Catholique qu'ils l'empruntent.

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  4. Rendre le Catholicisme "clair et distinct" à l'intelligence, le rationaliser, c'est avoir peur de perdre pied, c'est toujours la même crainte de l'irrationnel en ce qu'il nous échappe, tenter de maîtriser l'Esprit.
    C'est l'Incarnation elle-même qui pose problème aux esprits sourcilleux de comprendre, de maîtriser, de faire le tour; Il s'agit toujours de la même gnose originelle qui ne cesse de prendre des visages variées au cours des siècles. Elle ne peut admettre un Christ à la fois Dieu et Homme, vraiment l'un et l'autre.
    Or par ce mystère, Il nous échappe.
    Saint Paul était lui-même au carrefour historico-géographico-philosophico-religieux de toute sagesse et croyances. Il fut le canal humain idéal pour que la Personne du Christ vraiment Dieu et vraiment Homme atteigne chacun en ce monde après avoir attiré tout à Lui (et résumé tout en Lui) sur la croix.
    Saint-Paul n'avait peur ni de l'Esprit ni de la chair ni de la croix qui unifie les deux dans le Christ et prépare ainsi la résurrection. Il avait compris que l'un sauve l'autre. Que si le Christ souffre horriblement sur la croix c'est AUSSI pour sauver la chair.
    Ce n'est pas par "évolution" que le Catholicisme a les paroles de la vie éternelle, c'est par nature. Le concile V.II a peut-être apporté quelque chose au monde mais en tout cas rien de nouveau au sujet de la Foi. Tout est dans l'Evangile puis dans saint-Paul même si les dogmes par l'action de l'Esprit-Saint collaborant avec les Pères de l'Eglise ont déployé le contenu de cette Foi.
    Les Traditionalistes ne sont pas scotchés au concile de Trente mais ils savent lui mettre une priorité par rapport au concile V.II qui n'était que pastoral.
    Par contre, les Calvinistes sont scotchés à leur désir de maîtriser les mystères car ils ont un problème avec l'Incarnation comme tous les autres "Christianismes" non catholiques. La chair, selon eux suspecte, ne peut être sauvée. La vue du Christ souffrant sur la croix les indispose. Comme les indispose tout échec d'une vie car alors elle ne serait pas bénie, élue (leçon qu'ils ont retenue du Judaïsme).
    Hélas, nos contemporains ont perdu le respect de la dignité de la chair, magnifique création sauvée par Dieu dans le Christ. C'est pourtant le message catholique par excellence.
    Ainsi nous savons, cher monsieur l'abbé de Tanoüarn, que vous reverrez votre grand-mère dans l'autre réalité, elle et pas son fantôme ou son esprit. Elle-même avec ses qualités à elle, ses dons, son amour de coeur et de chair pour ses enfants et ses petits-enfants. Nous l'espérons pour vous sachant que l'Espérance n'est pas un souhait mais une certitude fondée sur la Foi.

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  5. Pour avoir fait l'expérience de la manière dont une grand-mère peut vous élever dans la foi, je vous adresse toutes mes condoléances pour la perte de la vôtre, que vous aurez eu la chance d'avoir gardé près de vous bien longtemps. Pour faire écho à ce que disait le précédent commentateur, nous savons dans l'espérance où est votre grand-mère, enterrée par l'un de ses petits-fils prêtres.

    Pour le reste, n'allez pas croire qu'il existe aujourd'hui plus de vrais calvinistes que des catholiques intégraux au sens où les traditionalistes voudraient en voir. Le protestantisme réformé ne croit plus en la prédestination et n'a donné qu'un souffle libéral à l'eglise. Il y a bien sûr des traditionalistes calvinistes comme des traditionalistes luthériens (dits "luthériens libres", qui ne sont que des luthériens de stricte observance et dont les pasteurs ne sont même pas rémunérés en alsace, s'étant détachés du luthéranisme officiele, qu'ils considèrent comme libéral: j'en sais quelque chose, j'accompagne régulièrement des personnes de cette mouvance dans leur culte, je le fais parce que l'église en question est la confession de naissance de ma mère).

    Cet Adolf von Harnack a selon moi très bien compris l'essence du catholicisme: c'est un conglomérat de tempéraments contraires, fédérés par une commune passion de demeurer, de trouver asile dans une maison, passion qui se reflète dans la première lettre du premier mot de la Bible, en forme de maison, mais de maison ouverte. Le catholicisme est une double pyramide: pyramide hiérarchique et pyramide qui nous explique la destinée humaine de la Création du monde à la fin des temps. Satisfaisant à notre passion de demeurer, nous offrant une "demeure totalisante" (et non pas totalitaire, le catholicisme réussit la "complexio oppositorum", l'union des contraires, tant au plan des tempéraments que des doctrines, qui se retrouvent toutes à la fin sous la bannière commune de la papauté, qui n'est infaillible qu'en tant qu'il fait référence et qu'on fait semblant de cesser de discuter quand le pape a frappé du poing sur la table. Or on ne discute nulle part autant que dans l'Eglise catholique. Sous ce toit, parce qu'on est rassuré d'en avoir un, peuvent s'attiser tous les conflits doctrinaux, dès lors qu'à la fin du compte, le souverain pontife "rassemble les enfants de Dieu dispersés". Il rassemble même ceux qui ne reconnaissent pas son autorité, car nul plus que le chef de l'Eglise catholique ne peut faire l'unité des chrétiens, ni ne pourrait leur servir de commun défenseur, si la persécution des chrétiens venait à se généraliser.

    Et en même temps, le catholicisme, parce qu'il satisfait par trop la passion de demeurer de l'homme, parce qu'il conserve le "capital, le patrimoine religieux" de la famille, ne remplit pas toutes les aspirations du religieux chrétien:
    "Maître, où demeures-Tu" (question posée au christ par la passion de demeurer).
    "venez et voyez" (le catholicisme est Ma Maison); mais le christ répond aussi :
    "Le fils de l'homme n'a pas une pierre où reposer Sa tête" (ici, nous est donée la raison de cette errance des eglises (sic).

    A la joie de rencontrer physiquement tous ceux qui viendront dimanche aux conférences et au dîner, pour lesquels rencontrer je vais faire le voyage

    J. weinzaepflen

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  6. Les parents et grands-parents sont nos racines. Nous leur devons tant! La douleur de la perte est, par bonheur, compensée par l'espérance de la résurrection. Je suis ému et je prie pour votre grand-mère, mon père...
    J'apprécie ce poste très intéressant qui montre bien la convergence nécessaire au catholicisme.
    Convergence, telle est le mot qui me vient aussi pour la jolie image des pyramides que nous propose Julien W. au verbe riche.
    Clément d'Aubier (pseudo de rêverie)

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  7. Avec mes très sincères condoléances à Monsieur l'Abbé de Tanoüarn,
    pour ce deuil d'une personne qui a du lui être si chère.

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