lundi 18 octobre 2010

L'Eglise et le monde

En lisant le petit ouvrage de Chesterton tout récemment traduit en français pour les éditions de l'Homme nouveau, intitulé L'Eglise et la conversion (13 euros), je tombe sur cette phrase magnifique, et profondément juste psychologiquement me semble-t-il : "Il est impossible d'être juste envers l'Eglise catholique. Dès qu'on cesse de l'attaquer, on se sent attiré par elle ; dès qu'on cesse de l'invectiver, on se met à l'écouter avec ravissement ; dès qu'on se met à être juste envers elle, on commence à l'aimer. Mais quand cette affection a dépassé un certain point, elle se met à revêtir la grandeur tragique et menaçante d'une grande histoire d'amour". Et il continue, comme parlant de lui-même : "Le converti éprouve le sentiment de s'être engagé, voire compromis, bref de s'être laissé prendre au piège, même s'il est ravi. Mais pendant un temps considérable il éprouve moins de bonheur que de terreur".

Pourquoi les rapports entre l'Eglise et le monde ont-ils toujours été si complexes ? Parce qu'au nom du Christ, l'Eglise ne tolère pas la demi mesure... C'est toute la difficulté de Vatican II que d'avoir imaginé que l'Eglise catholique pourrait ne plus avoir d'ennemis. Cinquante ans après, on s'aperçoit de la vanité profonde de ce calcul, qui affleure pourtant en toutes lettres dans Gaudium et spes. L'Eglise s'est réformée. Elle s'est lyophilisée. Elle a toujours autant d'ennemis. Ce constat avait en son temps beaucoup affecté René Rémond, le grand historien de l'anticléricalisme, qui imaginait que l'Eglise libéralisée n'autrait plus d'ennemis et qui a écrit son histoire de l'anticléricalisme sur ce thème. Il a eu le temps de voir que ce calcul était parfaitement vain. Et, au rebours de toute son oeuvre, alors qu'il avait publié en 1948 un Lamennais et la démocratie, puis en 1976 une synthèse sur L'anticléricalisme en France depuis 1815, avec toujours la même insistance sur une politisation excessive d'une Église trop antilibérale à son goût, un quart de siècle plus tard, en 2000, dans Le christianisme en accusation et en 2005 dans Un nouvel antichristianisme, il est obligé de constater que l'antichristianisme n'est pas du tout ce qu'il imaginait qu'il était dans sa jeunesse. L'Eglise est devenue libérale conformément aux voeux du Concile Vatican II, et on l'accuse encore. Comment se fait-ce ?

Voilà une vraie question.

Cela montre en tout cas d'abord que, sous quelque défroque que ce soit, l'Église reste l'Église. Elle hérite de son fondateur d'être "signe de contradiction pour la ruine et le relèvement d'un grand nombre". "Les disciples ne sont pas au dessus du Maître".

Le fait que l'on continue à pouvoir se poser la question montre deux choses :

1- l'Église ne saurait être parfaite, elle est forcément critiquable, même si elle constitue, de par les sacrements qui s'y donnent, une matrice inégalable de saints et de sauvés. Ceux qui opposeraient l'Église d'hier et l'Église d'aujourd'hui comme l'ombre à la lumière en seront forcément pour leurs frais. L'hommerie sous toutes ses formes est d'autant plus présente dans l'Église qu'elle semble plus scandaleuse aux spectateurs non avertis. Comme dit encore Chesterton, dans L'homme éternel : "Les chrétiens sont moins bons parce qu'ils devraient être meilleurs".

2- Le monde continue et continuera longtemps à être déçu par l'Église parce qu'il en attend trop. Parce que finalement, il l'aime trop. Il faut apprendre à distinguer la personne de l'Église et son personnel selon la distinction célèbre et sans doute un peu désenchantée de Jacques Maritain vieillissant. Mais cette déception que le monde éprouve face à l'Église est l'envers d'un véritable amour, persistant, toujours prêt à renaître, d'un amour qui, comme dit Chesterton, fait peur parce qu'il peut devenir dramatique - parce qu'il risque, chez les meilleurs, de se transformer en une histoire d'amour. Le célibat sacerdotal n'a pas d'autre justification que cette histoire d'amour pour l'Église, maîtresse exigeante, parfois injuste ou même simplement capricieuse.

Le succès trans-public du film Des hommes et des dieux (un peu plus de deux millions de spectateurs aujourd'hui) ne s'explique-t-il pas par cet amour persistant au-delà de tous les dédains ? En réalité, cet amour s'exprime d'ailleurs jusque dans le dédain dont on entoure les ministres de l'Église ("prêtre, pédophile, pléonasme" dit l'humoriste qui ne se rend pas compte à quel point ce trait de véritable haine antichrétienne est la preuve, par son outrance même, d'un amour persistant sous la cendre).

Ce qui naît et renaît sans cesse parmi les hommes, c'est, quoi qu'il en soit des insuffisances de ses ministres, cet amour pour l'Église, brillante à travers leurs haines - et aussi ce respect pour ceux qui la servent avec sincérité, quels que soient les défauts dont ils font montre. Je porte la soutane depuis plus d'un quart de siècle maintenant et puis témoigner que les ceusses qui imitent le cri du corbeau sur mon passage sont les premiers à vouloir discuter (parfois âprement) avec... l'objet de leurs quolibets.

2 commentaires:

  1. "L'eglise déçoit le monde parce qu'il en attend trop", parce qu'il l'aime trop, combien c'est vrai! et j'ajouterai en contrepoint cette citation du grand rabbin gilles Bernheim faite hier par Mgr Francis deniau dans une enceinte strasbourgeoise de dialogue judéochrétien où cet évêque avait pour contradicteur le professeur Armand Abécassis (lors d'une conférence qu'est malheureusement venue troubler fort peu élégamment un membre du MJCF que l'évêque a écouté avec patience):

    Ce qui fait La grandeur d'une religion, ce n'est pas la force de conviction de ses croyants, mais sa capacité à donner à penser à ceux qui ne croient pas en elle"!

    A la sortie de la conférence, Mgr Deniau a dit, à celui qui était venu "faire le coup de poing de la monopolisation des échanges" (et qui était venu de loin pour ça), au cours d'un face à face où je me suis immicé, qu'il ne faut pas tant défendre la foi que l'annoncer, comme Bernadette Soubirous, dont on connaît cette répartie célèbre:
    "Je ne suis pas chargée de vous le faire croire, je suis chargée de vous le dire."

    L'eglise déçoit le monde par sa manière d'y témoigner. Une eglise sur la défensive "fait peut-être des convertis", comme l'a soutenu ce jeune homme qui confessait lui-même manquer de charité dans l'annonce de la vérité, mais d'une part des convertis agressifs; et, d'autre part, comme l'a fort bien fait observer Mgr Deniau:
    "C'est Dieu qui fait la conversion": Lui qui la fait et Lui qui la juge! Ces athées qui sont plus passionnés de l'Eglise que nous ne le serons jamais, ne se pourrait-il pas qu'ils soient plus convertis que nous, comme ces "publicains" qui "précèdent dans le royaume des cieux ceux qui s'en croient les usus fruitiers bien assis sur leur droit d'héritage?

    La défensive dans l'annonce résonne comme le dernier râle de l'agonisant. Or l'Eglise n'est pas agonisante, elle n'a pas à se défendre: elle n'a qu'à annoncer tranquillement, posément, aimablement, avec le visage avenant de Jésus quand Il "danse sur la place du marché", parfois certes (mais pas toujours) avec la sainte colère du même dieu qui renverse les échopes des marchands du temple, la Bonne Nouvelle dont elle conserve le précieux dépôt qui lève dans son coeur. Elle doit savoir inculturer son annonce à son public. Elle doit savoir regarder la poutre qui est dans son oeil plutôt que la paille qui est dans celui de son prochain. Elle ne doit certes pas avoir peur d'annoncer l'Evangile, ni se résigner, comme Mgr Deniau citant le cardinal Congar, à n'être plus qu'"une petite eglise dans le vaste monde". Mais elle doit se redresser avant de redresser les autres, elle ne doit pas se complaire dans son "hommerie". Elle doit moins S'aimer que son prochain. Elle doit sortir de son amour éclésiocentrique dans lequel l'a enfermé vatican II et dans lequel vous, les prêtres, croyez donner votre célibat pour n'épouser que votre propre corps puisque vous êtes, depuis votre baptême, déjà incorporé à l'eglise. L'eglise doit moins s'aimer que son prochain parce que, dans celui-ci, il y a le Christ Qui se cache. Et si c'est lui que vous agressez dans des combats de coq où vous faites assaut de votre force de conviction qui ne conforte que vous-même, bien malins serez-vous quand Il Se fera reconnaître. Le militantisme a ses limites. Cessons d'être des soldats de la Foi, soyons des lampadaires du christ! Et que les tradis arrêtent de se plaindre que les évêques leur ferment les portes s'ils passent leur temps à leur taper dessus!

    RépondreSupprimer
  2. Je me permets de vous faire partager quelques autres échos de cette riche conférence:

    1. TOLERANCE OU RESPECT ?

    « Je vais vous dire du mal de la tolérance parce que la tolérance, c’est la tolérance du mal . Or le mal doit être combattu et il y a de l’intolérable. Contre la tolérance, je préconise le respect » » (Mgr Francis deniau)

    « Juif, lorsque j’aime mon prochain, lorsque je pratique ce que je n’appelle pas la charité, lorsque, simplement, je lui fais traverser la rue, je deviens responsable de son aventure humaine. Je deviens devant Dieu responsable de ce qu’elle réussisse et ne s’enfonce pas dans une impasse » (PR Armand Abécassis).


    2.
    Amour et connaissance :

    Pr Armand Abécassis :
    En termes de connaissance, le symbole l’emportera toujours sur le concept ». (

    « Les grecs sont le peuple élu de la vérité » (

    « Le monde du sens dépasse la raison ».

    « Le monde du sens est celui de la contradiction des significations qui fait que la Révélation, non seulement continue de se faire par l’histoire, mais n’est jamais close dans l’histoire puisque la compréhension des Ecritures ne peut que s’enrichir sans cesse, quoique d’une loi, toujours la même. »

    « soit deux personnes devant un tableau de van Gogh. Soit chacune de ces personnes s’imagine être en communion directe avec l’esprit de Van gogh, elles sont dans le monde de la vérité ; soit au contraire elles entrent dans le monde du sens : chacun expose à l’autre comment il comprend ce tableau. Chacun devient alors responsable de l’interprétation de l’autre et chacun libère, allège l’autre de l’emprisonnement, de l’enfer où il était, livré à sa seule propre interprétation, dont il avait fait le propre de la signification de l’œuvre.

    RépondreSupprimer