samedi 7 août 2010

[Rémi Lélian - Respublica Christiana] Shutter Island

Je profite de la sortie récente du DVD pour revenir sur le bouleversant et sombrissime dernier film de Martin Scorsese : Shutter Island. Du moins sur ce que ce film nous dit, une fois passées les révélations dramatiques, et ce que sous-entend le choix du héros de préférer la mort, une fois revenu à la raison, de « mourir en homme de bien » plutôt que de « vivre en monstre ». En effet, à la suite à une enquête labyrinthique mené par le Marshall Teddy Daniels dans un asile psychiatrique, asile qui figure à bien des égards l'antichambre de l'Enfer, celui-ci s'apercevra qu'il n'est pas l'enquêteur qu'il pensait être, mais le sujet d'un jeu de rôle grandeur nature organisé par les médecins de l'île afin de lui faire retrouver la raison et admettre la réalité qu'il rejette ; à savoir qu'il a abattu sa femme juste après qu’elle eut tué leurs enfants. Le jeu réussit et le personnage interprété par Di Caprio reconnait enfin que le monde dans lequel il se débat est un monde imaginaire, fruit de ses propres délires, créés pour lui éviter d'affronter les évènements atroces qui l'ont fait sombrer dans la psychose. Cependant, si le cerveau est guéri, le cœur, lui, ne tient pas l'épreuve et c'est la trépanation que le Marshall choisira, plutôt que la rémission, et sur laquelle le film s'achève dans une apothéose nihiliste d'une abominable tristesse.

On peut s'étonner de voir Scorsese ici réaliser son film le plus noir, et de le voir, lui dont le catholicisme est connu, ne proposer comme issue en ce monde que celle de la mort ou de la folie. A moins de considérer que l'enjeu de Shutter Island ne se trouve pas dans le choix entre la démence et la raison, mais plutôt dans celui entre, d’une part, survivre à la souffrance et à la culpabilité et, d’autre part, mourir pour n'avoir pas à les supporter. Ainsi, l'échec des psychiatres du film tient principalement dans le fait de n'envisager leur patient que comme un être ayant perdu la raison, lors que sa folie résulte uniquement de sa douleur, et qu'en soignant le mal sans guérir la cause, ils s'évertuent à singer Sisyphe en blouses blanches.

En vérité, Shutter Island n'est ni un film policier, ni un film sur l'inconscient, c'est un film d'horreur théologique, au sens littéral, dépeignant un monde refermé sur ses seules limites rationnelles, tandis que la souffrance irradie chacun de ses recoins sans qu'on accepte de la voir (d'ailleurs les camps d'extermination nazis et la bombe atomique laissent planer leur ombre atroce tout au long de la pellicule), et qu'elle nous tue d'autant plus sûrement que personne n'est là pour nous consoler. En français, Shutter Island, c'est l'île close. C'est l'homme, dont le poète a beau nous dire qu'aucun n'est une île, qui se persuade tout de même de son insularité misérable jusqu'à en mourir, non plus par folie, mais parce qu'il a recouvré la raison et elle seule... et qu'elle n'est pas suffisante...

Rémi Lélian

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