samedi 24 juillet 2010

[Laurent Tollinier - Respublica Christiana] Du savoir immédiat

Dans un passage de sa réflexion sur la « sagesse de l’amour » dans Metablog (lien ci-contre), l’abbé de Tanoüarn évoque, à travers un bref dialogue, la mise en abîme que constitue le face-à-face entre la certitude immédiate et la preuve. Revenons un instant sur cette question prodigieuse de la certitude immédiate, celle qui relève de l’esprit de finesse cher à Pascal. Aujourd’hui où la vision scientiste du monde a intégré l’opinion commune, et où cette opinion elle-même est jaugée à l’aune de l’esprit de géométrie des sondages, c’est seulement au prix d’un contre-sens qu’est entrevue la certitude immédiate. « Une connaissance sans preuve est-elle vraiment une connaissance ? » se demande ainsi le quidam ordinaire, le chimiste et le trader en liberté.

Pourtant, la certitude immédiate fait naturellement l’économie de la preuve, parce qu’elle vient d’une disponibilité à la grâce première, laquelle est évidence ou n’est rien. Ce mode de connaissance ne procède pas ainsi d’un jeu entre deux termes, mais entre trois. A la différence d’une connaissance exclusivement rationnelle, le lien s’établit ici entre le sujet connaissant, l’objet que celui-ci veut connaître, et un élément extérieur, décisif, une lumière particulière à laquelle l’homme connaissant se rend ouvert à travers l’objet perçu. C’est seulement en vertu de cette médiation que la certitude peut être immédiate. Pas d’immédiateté absolue donc pour la connaissance humaine, qu’elle que soit la voie empruntée. Notons-le par ailleurs, certains spécialistes des sciences cognitives attribuent à cette faculté de la certitude immédiate une véritable prééminence sur la pure logique, et osent affirmer son caractère mystérieux et néanmoins bien réel.

Depuis la Chute, dans notre condition blessée, c’est seulement désormais de manière parcellaire que nous pouvons bénéficier de cette certitude immédiate. Mais sa force particulière habite toujours l’homme, à charge pour lui d’en retrouver la voie, de ménager en son esprit la place qui lui revient, en somme de désencombrer son âme. Avant la faute fatidique, parmi les merveilles confiées originellement à l’homme par le Créateur, figurait ainsi la sagesse, précieux don préternaturel (« L‘œil de l’homme voyait alors la Majesté de Dieu », explique Pascal). Mais la faculté particulière de connaître qu’avait ainsi l’homme dans le jardin d’Eden, il s’est mis en tête de la dissocier de son rapport à Dieu. En voulant s’auto-centrer, l’homme s’est alors décentré pour des millénaires de quête difficile et de tâtonnements hasardeux. Car en prêtant l’oreille au sifflement de l’antique serpent (« Vous serez comme des dieux ! »), Adam avait bien cru pouvoir rejeter toute médiation, celle de son auteur en particulier, et trouver toute certitude en lui-même. En fait de certitudes, il s’est enfermé dans le labyrinthe des probabilités. Il s’est embarqué sur le long fleuve pas tranquille des preuves sans fin, propres à la raison quand celle-ci est livrée à ses seules lumières. Lumières déductives ou inductives, certes nécessaires, mais, sans la lumière de Dieu, lumières de souterrain. Redécouvrons la lumière du jour.

Laurent Tollinier

1 commentaire:

  1. L'irréalité de la certitude immédiate tient à ce que nous sommes des êtres de structure ternaire (corps, âme et esprit) plongés avec les choses dans un rapport tripartite où il y a elles, nous et la lumière. Nous sommes aussi dotés d'une raison dialectique qui ne nous met à l'aise que dans la dualité, au risque de nous faire purement et simplement évacuer et oublier le troisième terme: nous oublions la lumière qui nous relie aux choses. Nous nous croyons corps et âme, mais nous oublions que c'est par l'esprit que nous en avons l'intuition. Nous oublions l'Esprit qui nous donne cette croyance. Mais plus subtilement, lors même que nous continuerions à affirmer que nous avons une âme et que nous en détenons la certitude par la raison, c'est notre âme au plus profond que nous oublions, précisément parce qu'elle n'est pas ouverte sur l'immédiat, parce qu'elle n'entretient pas avec les objets une relation définitoire. Nous oublions notre âme au point, par le détournement d'un mot pour un autre, d'en faire l'objet d'étude de la psychologie alors qu'elle est le principe de toute spiritualité. Nous oublions notre âme comme jadis, on ne parlait que de "sauver des âmes" en oubliant la résurrection de la chair. Mais ici, le danger est plus grand: car se désanimiser, c'est se déshumaniser. Si vous n'aimez pas le néologisme, vous admettrez aisément du moins qu'il n'y a pas de perte de spiritualité sans perte d'humanité, sans perte du principe qui soulève l'humanité au-dessus d'elle-même.

    J. WEINZAEPFLEN

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