jeudi 24 juin 2010

Héroïsme chrétien

Belle réunion autour de Respublica christiana ce soir au Centre Saint Paul. Je n'ai pas compté (quand on aime...), nous étions une douzaine de contributeurs potentiels... Après le numéro sur l'identité au risque de la foi, qui vient de paraître, nous préparons quelque chose sur les conciles et les crises de l'Eglise, à paraître cet été et nous préparons un dossier sur l'héroïsme chrétien.

Il a été question d'héroïsme dans la bouche du pape assez souvent, en particulier en Tchéquie ce printemps. L'héroïsme ? Ce n'est pas un sujet pour frimer ou se faire plaisir. Au fond il y a autant d'héroïsmes que de formesde sainteté. Ne parle-t-on pas à ce sujet de "l'héroïcité des vertus" de celui qui est porté sur les autels ? lors s'il est vrai que la sainteté personnelle n'est pas facultative... le sujet est capital.

Laurent Tollinier nous explique d'abord que le héros antique est celui qui se donne pour sauver les autres. Je crois qu'il y a là une idée profonde : le rapport étroit qui existe entre héros et sauveur. Le salut est acquis par une forme ou une autre d'héroïsme. Disons que le christianisme a démocratisé cet héroïsme, car, dans le Christ, chacun doit être l'agent responsable de son propre salut.

Quant à l'idée de salut, quoi qu'on en pense elle existe depuis l'origine de l'humanité. Je ne parle pas seulement de la mythologie égyptienne. Platon aussi en est un bon témoin. Le vieillard Céphale, au livre I de la République, repasse toute son existence dans son esprit, sentant venir la camarde. Il espère dans le bien qu'il a fait et il craint pour le mal qu'il a commis.On peut multiplier les exemples de la proximité de cette idée de salut pour tout homme.

Ma dernière découverte m'a ému. Je faisais les caisses à livres sur les Quais, entre deux rendez-vous. Et je tombe d'abord sur mon ami Marc, qui, jeune retraité, vend des livres, puis, dans une de ses huit caisses, sur Les mots de Jean Paul Sartre. Un livre que je n'avais jamais lu. Je le feuillette. Sartre y parle beaucoup plus que je ne l'imainais de son christianisme, et dans une langue dont le classicisme m'a surpris. Mais la plus grande surprise est dans le texte...

Dans ce livre autobiographique, il me semble que les dernières lignes doivent avoir valeur d'engagement ultime sinon de testament spirituel. Voici ce qu'écrit cet athée militant à la fin des Mots : "Ce que j'aime en ma folie, c'est qu'elle m'a protégé, du premier jour, contre les séductions de l'élite. Jamais je ne me suis cru l'heureux propriétaire d'un talent. Ma seule affaire était de me sauver - rien dans les mains, rien dans les poches - par le travail et par la foi. Du coup, ma pure option ne m'élevait au dessus de personne : sans équipement, sans outillage, je me suis mis tout entier à l'oeuvre pour me sauver tout entier. Si je range l'impossible Salut au magazin des accessoires, que reste-t-il ? Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n'importe qui".

On n'échappe pas si facilement que cela à la question fondamentale du salut Et à travers l'espérance qui nous en reste, nous possédons non pas le salut lui-même, mais la force ou l'élan pour le réaliser. Le jeune Pierre Boutang se demandait si Sartre était un possédé. Ce seul texte, à la fin des Mots, suffit à montrer que Boutang avait tort et que Sartre était comme tous les humains, l'objet des sollicitudes de son Dieu. Son athéisme ? Une haine, un refus : "Si Dieu n'existait pas ce serait une raison supplémentaire pour nous de le combattre"...

6 commentaires:

  1. On pourrait justement penser que vouloir se sauver soi-même est bien le signe de la possession !

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  2. Et si l'athéisme de Sartre était finalement la manifestation d'une haine envers lui-même ?

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  3. Le seul sauveur est Notre-Seigneur Jésus-Christ. Sartre dit qu'il a rejeté Dieu à onze ans parce qu'il ne voulait pas que Quelqu'un observe tout ce qu'il faisait, le commande et le juge...

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  4. Cher Abbé,

    Comme toujours, vous avez l'art de dénicher les vessies qu'on nous faisait prendre pour des lanternes. A votre différence, j'avais lu "LES MOTS" et, je m'étais tenu à la vulgate d'un Sartre compassionnel dans les dernières paroles de cet ouvrage, n'ayant nul souci de salut, ayant rangé celui-ci "au rang des accessoires", mais se voulant l'un des nôtres : "un homme fait de tous les hommes, et qui les vaut tous, et que vaut n'importe qui".

    Pour moi, Sartre n'avait écrit "LES MOTS", à la fois que pour faire partager une "tranche de vie" et pour le faire en aristocrate de la littérature, en montrant qu'il savait pratiquer cette si belle langue classique que vous découvriez dans cet ouvrage, manière pour l'auteur de souligner qu'il n'était pas "L'IDIOT DE LA FAMILLE" qu'il accusait en flaubert, au moins par le titre de son étude ; moyen parmi d'autres d'affirmation de soi pour ce deuxième d'agreg qui ne s'était jamais remis de n'avoir pas été le premier : lui qui s'interrogeait sur ce qu'était la littérature en devant répondre à l'accusation (d'ailleurs injustifiée) que ses romans ne valaient pas tripette. Or les romans de Sartre sont, comme son théâtre, de l'existentialisme mis en application avec une éthique du choix et du choix à faire en quatrième vitesse, dans la crainte de se tromper lourdement, mais dans le courant de la vie qui ne souffre pas que l'on attende ni que l'on diffère d'un pouce. L'erreur est impulsive de devoir se décider sans réfléchir, et de ne pouvoir par conséquent porter l'état d'âme rétrospectif du repentir. L'erreur est inséparable de l'existence. L'éternité est réduction à l'effigie, la nature est mouvement perpétuel. L'éternité est du domaine de la Grâce comme l'existence de la nature. On a beaucoup disjoint la nature et la grâce, au risque de faire divorcer l'instinct et l'intelligence. Or l'Esprit-Saint peut seul s'engouffrer dans l'instinct quand la prière, avec la convocation qu'elle fait de notre "libre arbitre", avec l'invocation aussi qu'elle adresse auPère et au Verbe, réveille notre intelligence.

    Néanmoins, j'avais toujours perçu en "LES MOTS" le désir d'opérer à une déconstruction très précise de la vocation sacerdotale de l'écrivain, de n'accepter la vocation d'écrivain que comme un mal nécessaire, projetant l'écrivain dans la classe de ceux qui, bon gré, mal gré, avaient vocation à inspirer le monde, c'est-à-dire à le diriger, ne fût-ce que parce que, comme l'avait déjà compris Marx avant Sartre, seuls les oisifs étaient aptes à parler du travail. Et l'écrivain a tout son temps.

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  5. Quant à la construction plus méthodique des "MOTS", pour en comprendre l'efficacité, il faut la rapporter à ce que réussit Sartre dans "LA NAUSEE". En effet, quel est l'épisode où ces effluves de taedium vitae emportent le plus viscéralement Antoine Roquentin, le héros du roman ? Ce n'est pas quand il s'excite contre les "salauds", bienfaiteurs à ex-voto ayant été de généreux mécènes dont ils tirent une gloire posthume dans les musées municipaux. Ce n'est pas non plus quand il ne parvient pas à faire vivre à son amie anny "les moments parfaits" qu'elle se promet de leurs rencontres. Ce n'est pas davantage lorsqu'il se met en colère contre la méthode de l'autodidacte qui, ne sachant par quel bout prendre la culture, emprunte par ordre alphabétique les ouvrages de la bibliothèque, clin d'œil sans doute conscient à l'idée kabbalistique que Dieu a créé à partir de l'alphaber hébraïque d'où est peut-être née notre croyance, si difficile à expliquer, que le Christ, Lui qui n'a rien écrit, n'en est pas moins le Verbe. Roquentin est pris d'une nausée irrésistible lorsqu'il tourne dans sa tête, non pas pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien, mais pourquoi tel élément est associé à tel autre. Et dans la composition de quoi, je vous le demande ? Dans la composition d'un arbre. Or qu'est-ce qui est planté au milieu du jardin de la genèse ? "L'arbre de vie". L'existentialisme apparaît dès lors comme une négation très raisonnée de l'échelle des valeurs de la vie, l'arbre de vie étant le pendant naturel de la construction culturelle du modèle clérical, dont Sartre peut entreprendre la déconstruction très méthodique dans "LES MOTS". Je crois que c'est à quoi il s'emploie en y trouvant moins de réussite que dans "LA NAUSEE". Car ce qui ressort de la déconstruction de cet ouvrage autobiographique, ce n'est pas que Sartre a réussi à battre en brèche l'idée de vocation, mais qu'il a accompli sa vocation d'écrivain, lui qui aurait voulu effacer jusqu'au souvenir qu'il avait eu une vocation (cf. aussi "L'ENFANCE D'UN CHEF)…


    Julien WEINZAEPFLEN

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  6. Heureusement qu'on a les posts (et quels posts!) de Julien, à se mettre sous la dent: vous êtes tous (et toutes) déjà partis à la plage, ou quoi?

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