jeudi 4 mars 2010

Souviens toi de mourir ! - au Musée Maillol

Cet après-midi, j'ai fait une rapide virée au 61 rue de Grenelle. Vous ne connaissez pas ? C'est le Musée Maillol et il abrite en ce moment une expo très courue. Thème ? la mort. Le titre est biblique, même s'il renvoie à l'histoire de l'art : "Vanités". Le sous titre est contemporain : "C'est la vie". A priori, faire une expo sur la mort, cela paraissait une gageure. Et c'est aujourd'hui un vrai succès.

Il y a deux questions qui en cette occurrence me semblent bien distinctes : qu'y avait-il parmi les 160 pièces de cette exposition ? Et pourquoi ce succès ?

Je vous avoue que c'est la mention du Caravage (à propos duquel vient de paraître un fort beau livre de Laurent Bolard chez Fayard) dans l'intitulé de l'expo qui m'a décidé à lui rendre visite en voisin... De fait au premier étage, nous tombons sur le thème de l'extase de saint François, avec un tableau splendide sorti d'une collection privée londonienne. Le même thème est décliné par deux "caravagesques", avec toujours le travail sur la lumière, Zurbaran et Georges de La Tour. Ajoutons quelques tableaux intéressants : la mort qui s'invite à dîner de Martinelli (XVIIème) et une Madeleine pénitente de Domenico Fetti, extraordinaire de naturel et que l'on avait déjà vue à l'exposition sur la Mélancolie en 2005 au Grand Palais. Quelques belles pièces - et j'en oublie - qui à elles seules vaudraient le détour. Mention particulière pour une crucifixion surréaliste de Paul Delvaux dans laquelle le Christ sur sa Croix est le seul vivant, entouré de squelettes dans toutes les postures... Je vous passe Picasso (si facile) Braque (plus convaincant) et tant d'autres...

Et j'en arrive à ce qui fait la spécificité de cette exposition : l'importance donnée à l'art contemporain (je veux dire à l'art conceptuel) qui occupe deux niveaux sur trois dans cette expo, qui paraît parfois comme une sorte de faire valoir pour Damien Hirst (mentionné dans l'intitulé de l'exposition) et ses séides.

Damien Hirst, qui a tenu sa première exposition personnelle en 1991 est un Anglais dont on ne sait jamais s'il travaille dans le non-sense, comme beaucoup de ses compatriotes, s'il est un peu frapa-dingue ou s'il profite de la crédulité qui entoure tout ce qui est "contemporain". La mort est pour lui le sujet que l'on ne peut jamais éviter, sujet omniprésent dans ses toiles. Pour payer ses études aux Beaux arts, il a travaillé dans une morgue. Son inspiration se partage entre des animaux dans le phormol (à propos desquels on souligne que la décomposition n'est que ralentie et qu'il s'agit par conséquent d'une œuvre vive - comprenez : une œuvre destinée à se décomposer totalement) et des crânes. L'expo montre un crâne parsemé de diamant. Commentaire - n'oublions pas le commentaire, ce ne serait pas de l'art conceptuel sinon : la mort est vaincue puisque le diamant est réputé indestructible et donc éternel.

Ne nous y trompons pas : comme au temps des danses macabres, mais pour d'autres raisons, il s'agit de se moquer de la mort et de souligner comme le fit jadis Epicure : "La mort et moi, nous sommes exclusifs l'un de l'autre" On a l'impression du petit garçon qui tire la langue et dit à Madame la Mort : "Même pas peur". Au XIVème siècle, c'est la gigantesque épidémie de peste noire qui multiplia les danses macabres. Aujourd'hui l'allongement de la durée de vie et les perfectionnement de l'anesthésie justifie ce cri : Même pas peur!

La mort - et le néant qu'elle signifie - apparaît comme rassurante. C'est l'asile de la misère humaine. Il y a une véritable obsession du néant dans cet art conceptuel, que l'on retrouve chez des philosophes comme Heidegger expliquant tranquillement que "l'homme est un être pour la mort" (et adhérant dans le même état d'esprit au NSDAP : pourquoi se soucier d'éthique si la mort est le dernier mot de tout ?). Le Memento mori d'aujourd'hui n'est pas le rappel d'un jugement divin, comme il l'était pourtant, au Premier Livre de la République de Platon, quatre siècles avant le Christ, pour le vieillard Céphale. Non ! Le Memento mori d'aujourd'hui est en même temps un Memento delectari : Souviens toi de mourir, souviens toi de jouir, puisque le Néant est toujours au bout.

On soulignera pour comprendre le pessimisme de l'art contemporain les allusions à deux catastrophes : la shoah et le sida. Comment peut-on dire que le monde est bon après cela ? Fini l'optimisme des années 60. Vive le cynisme du XXIème siècle, revenu de tout... Un cynisme qui veut encore jouir (quitte à contaminer, par jalousie, celui qui ne l'est pas, comme je l'ai entendu plusieurs fois en confession - je peux en parler puisque je ne cite pas de nom). L'art de notre époque nous le montre : nous sommes beaucoup plus malades que nous l'imaginons.

Par contraste avec ces vanités du XXIème siècles, qui jubilent d'être vaines pour mieux jouir de l'instant, l'expo nous présente les vanités du XVIIème siècles, associées à des saints (Jérôme, François, Madeleine), représentent plutôt un apprentissage de la mort qu'un "senfoutlamort" cyniquement jubilatoire... Apprendre la vérité de la vie pour savoir pour quoi vivre et pour quoi mourir.

Alain de Benoist, hier (voir post précédent) évoquait le "service inutile" de Montherlant comme typiquement aristocratique et opposé à toute éthique chrétienne. Je crois qu'il a raison et je ne résiste pas à vous citer Curzio Malaparte, dans un petit livre prodigieux et inachevé : Le Bal au Kremlin. Cela se passe dans les années 30, Staline régnant dans le sang. Au milieu des purges, la fête continue. Malaparte, qui est allé à Moscou, nous donne un extraordinaire aperçu de l'atmosphère de peur et de "jm'enfoutisme" total qui règnait là-bas. Il nous restitue une conversation sans doute authentique entre lui et Boulgakov (l'auteur de le Maître et Marguerite): "- Il faut bien que les hommes souffrent, disais-je, le christianisme est souffrance. - Ce n'est pas parce que l'on souffre que l'on est chrétien, répondait Boulgakov. On est chrétien justement parce que l'on renonce à souffrir inutilement. il faut souffrir pour quelque chose, surtout pour les autres - Tu crois que les communistes aussi sont chrétiens ? Qu'il suffit de souffrir pour les autres pour être chrétien ? - Oui, assurément, eux aussi sont chrétiens, ces maudits aussi sont chrétiens répondit Boulgakov".

Quel rapport avec les vanités ? direz vous. Celui-là : au XXIème siècle, c'est la mort qui est vaine et dont on se moque. Littéralement, on la montre ne servant à rien, tout juste bonne à faire des colifichets, que l'on porte en s'en moquant. Voyez la mode gothique.

Au XVIIème siècle, c'est la vie sans la pensée de la mort qui est vaine, "vanité et poursuite du vent" comme dit l'Ecclésiaste. Et la mort est un avertissement : mala malis, bona bonius, comme on lit sur un tableau espagnol, les biens aux bons, les maux aux méchants.

Dans cette perspective qui est la nôtre, ni la mort ni la souffrances ne sont vaines ; comme dans le tableau de Paul Delvaux (cf. plus haut), le Christ, mort bien vivant sur sa Croix indique à tous les squelettes en sursis que nous sommes : à quoi ça sert. On ne peut pas donner raison à Damien Hirst, c'est Boulgakov qui nous offre le bon mode d'emploi de cette drôle de chose qu'est la vie.

4 commentaires:

  1. J'ai lu votre article avec intérêt. je suis artiste plasticienne "contemporaine" et spécialiste es Vanités. Je ne crois pas du tout que les artistes contemporains jugent la mort "vaine". Bien au contraire ! L'idée est de montrer la futilité des préoccupations humaines, somme toute fort anecdotiques. Il s'agit donc bien de la vie qui est vaine...
    Ma propre démarche artistique (voir blog anne-hecdoth.blogspot.com) propose une approche sociologique autant sur le plan social que sociétal. Les images, nourries essentiellement d’anecdotes autobiographiques et d’actualités médiatisés, sont présentées avec un texte à connotation sociale, politique, philosophique ou artistique. Les codes sont empruntés à ceux de la vanité et revisités par les outils du marketing, de la communication et de l’information.
    L’idée est de les adresser à un public représentatif d’une société « démocratique », avec ses niveaux de connaissances et ses bagages culturels des plus variés et donc, pour la majorité, plutôt succincts dans le domaine des arts plastiques contemporains.
    En revanche, les moyens de diffusion appartiennent au domaine populaire du web et de l’électronique, excluant volontairement les espaces dévolus habituellement à l’art, jugés souvent intimidants pour le néophyte.
    Et, enfin, c’est par les réactions reçues en retour que l’on peut alors mesurer la force des œuvres et les effets qu’elles produisent.
    Bien à vous.
    Anne Hecdoth

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  2. Mais ce n'est pas le christianisme qui est une souffrance, la position de Boulgakov est imprécise ! C'est la vie qui est souffrances ! Et grâce à Dieu, c'est la vie humaine qui présente son lot de souffrances qui seraient insurmontables sans une vie spirituelle unie à Dieu... Et cette vie spirituelle est joyeuse ! Le christianisme articulé autour de la souffrance est une idée du XIXème héritée d'un jansénisme poussé jusqu'en absurdie ! La liturgie nous fait demander à la messe "le bonheur en cette vie et la gloire dans l'autre"... C'est bien le bonheur concret, à la fois matériel et spirituel puisque St Thomas estime qu'il faut un minimum de confort pour être vertueux...

    Ce qui est certain, c'est que la mort est le fruit du péché et en tant que telle une absurdité puisque négation de la vie, et NSJC a rendu à notre mort une justification par la Sienne...

    Enfin, permettez-moi de vous dire que certaines notions d'Alain de Benoist sur l'aristocratie me semblent déconnectées de la réalité ! Le service serait aristocratique parce qu'il serait inutile, si je comprends bien ? C'est une vision peu chrétienne du service, c'est une vision orgueilleuse du service aussi, fait pour soi, inutile à ses propres yeux alors que seule compte ce que Dieu en juge... Et c'est une vision d'une aristocratie dégénérée, celle du XVIIIème, qui a provoqué et justifié (oui, justifié, je le maintiens et le souligne !) la Révolution française !

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  3. La traduction habituelle de "memento mori" est "souviens-toi que tu mourras". Mais puisqu'il s'agit d'un infinitivus praesentis passivi, on peut le comprendre comme "souviens-toi que tu meurs". Ce qui est tout de même un peu plus...

    Citation: "Marquise, quand vous serez bien vieille..." - Ce à quoi elle répondait: "J'ai 22 ans, mon bon barbon, et je t'emm... en attendant."

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  4. Le regard authentique sur la mort est maître de vie. C’est ce qu’enseignaient foncièrement toutes ces « Danses macabres », tenant de la sarabande fantastique et du carnaval d’outre-tombe, qui surgirent dans l’art occidental au XVème siècle. Thème d’une grande richesse pour le chrétien, l’artiste et le poète. Reposant sur la symbolique forte de l’association étroite des vivants et des morts, il invite à modifier les perspectives. Dans un sens chrétien. Parmi les diverses questions ainsi soulevées : la mort qui frappe sans distinction. Comme le dira encore Malherbe à la fin du XVIème siècle dans cette merveille qu’est la « Consolation à M. du Perier sur la mort de sa fille» : « La Mort a des rigueurs à nulle autre pareilles / (…) / Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre, / Est sujet à ses lois, / Et la garde qui veille aux barrières du Louvre / N’en défend point nos rois. » Mais, au-delà du pouvoir de la Faucheuse, ces danses macabres évoquent avant tout le destin universel de chacun. Comme les «Miroirs des princes », à la même époque, continuaient de refléter le modèle de l’homme qui gouverne, l’image de la danse macabre pose devant le regard de quiconque cet exigence du mortel qui médite sur les fins dernières.

    Ainsi est-il nécessaire pour notre salut d’avoir la mort présente à la conscience. Mais quelle mort ? Si c’est l’idée du néant qui s’impose, toute conscience saine la fuira sans conteste. Le christianisme célèbre la vie plus que toute autre religion. Alors, comment en avoir une autre perception ? Dans les pas des premiers chrétiens, il n'est sans doute pas d'autre manière d'échapper à cette idée de la mort comme néant que de réaliser patiemment la métamorphose, chaque jour recommencée, de cette part de néant que recèle notre moi, en humble réceptacle du désir de Dieu. Ce à quoi nous invite particulièrement le temps de carême. Ainsi l'« être pour la mort » heideggerien peut-il se changer en sacrifice pour la vie. Eternelle. La mort apparaît alors, au-delà de la ligne d'horizon, comme un ultime sacrifice, non comme le terme ultime. C'est bien le propre de l'espérance chrétienne que d'offrir cette voie difficile mais exaltante, où le vertige du vide laisse le terrain à la plénitude de la charité. Mais cette voie n'est pas tracée à l'avance. Elle paraît donc improbable à l'ère où l'on ne se risque plus que sur des routes étroitement balisées, ces autoroutes de l'existence dont il est à craindre qu'elles ne mènent nulle part.

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