mardi 23 juin 2009

La sainteté "light" et le désir de Dieu

Il y a des anglicismes qui n'ont pas d'équivalents en français, celui-là par exemple, que l'on peut facilement rapprocher d'un autre : soft, par exemple dans l'expression si bien trouvée soft idéologie qui caractérise notre aujourd'hui. Les idéologies ont perdu leur mordant, c'est incontestable. Elles n'ont rien perdu de leur prégnance. Nous restons englués dans une vision du monde où le positionnement idéologique (devenu virtuel pourtant et quasi vide de signification) a plus d'importance sociale que la pensée personnelle. On peut penser que c'est moins grave, l'idéologie, parce que c'est soft : plus d'Auschwitz, plus de Goulags. Mais toujours moins de force vitale. Toujours moins de pensée. Toujours moins de responsabilités personnelles. Toujours plus de confort. Toujours plus de consensus. toujours plus conformité collective et de conformisme.

Ce conformisme, saint Paul nous l'interdit : Nolite conformari huic saeculo, ne vous conformez pas à ce siècle. Quand il y a unanimité quelque part sur un pb moral ou spirituel, c'est mauvais signe ! Ne vous conformez pas, ne rentrez pas dans la logique de l'imitation, qui, comme l'explique René Girard est celle de l'envie. Ou alors - toujours saint Paul - "Soyez mes imitateurs comme je le suis du Christ".

La seule imitation qui n'est pas mortifère est celle du Christ. Pourquoi ? Bérulle, le grand cardinal de la dévotion française l'explique à l'envi, cette imitation-là n'est pas de notre fait, elle se réalise en nous par lui. Il le dit et le répète : "Jésus est le vrai peintre de soi-même". Son éclat se reproduit sur nos âmes comme sur des miroirs, sans que nous y prenions garde. C'est lui qui s'imite en nous. Ou alors c'est artificiel. Ou alors nous essayons de l'imiter sans beaucoup de succès.

Est-ce à dire que nous sommes purement passifs et que les quiétistes ont raison ? Non ! Pour que le Christ s'imite en nous, encore faut-il que nous l'admirions, que nous nous tournions vers lui, que nous désirions comprendre son image. Un miroir ne reflète rien s'il est mal orienté. Si nous ne nous orientons pas de toute notre liberté vers le Christ, le Christ ne peut pas s'imiter en nous.

Nous, c'est vrai, nous aimerions imiter ce que nous comprenons de lui. Pour l'un ce sera son humilité. Pour l'autre, sa puissance sur les foules. Pour un troisième sa proximité merveilleuse avec le Père. Si nous n'aimons pas assez le Christ, si notre amour n'est pas assez actif, s'il n'est pas vraiment inconditionnel, alors nous choisissons tel ou tel aspect du Christ, tel ou tel enseignement du christianisme.

Celui qui est vraiment actif, non seulement il choisit tout, mais il est prêt à tout, à n'importe quel moment de sa vie, sans souci de cursus ou de ses préférences personnelles. Cette "indifférence", caractérisée génialement par saint Ignace dans ses Exercices, n'a rien à voir avec la passivité du fatalisme. Cette indifférence est le propre de celui qui, littéralement est prêt à tout. La sainteté c'est cela : être prêt à tout pour Dieu et avec Dieu.

Dans toute sainteté, il y a une forme de radicalisme. Pas de demi mesure. Pas de demi foi. La sainteté disait sainte Thérèse d'Avila, c'est quelque chose de viril : "Soyez viriles mes filles". La sainteté ne procède pas seulement du choix de Dieu, mais du désir qui nous oriente vers lui. Sans ce désir, rien ne se passe.

C'est ce qui me choque dans certains portraits de saints ou de saintes, qui ont illustré les années 60, autrement dit les fameuses Glorieuses dont parle Fourastier. Je viens de lire Pauvre et saint curé d'Ars de Mgr Pézeril : c'est un peu cela. Le géant devient surtout un gentil. Oui : gentil curé d'Ars. Rémi Soulier l'avait remarqué en son temps. On gomme les aspérités du personnages ou alors on les fait servir à une démythification du bonhomme, dépressif, cyclothymique, comme nous tous ! Idem pour sainte Thérèse de l'Enfant Jésus racontée par Jean François Six : une jeune fille trop imaginative et qui le paiera cher... Le bouquet, c'est le relooking du Père de Foucault : ce mauvais garçon, qui fonda un bordel militaire et passa sa vie à faire pénitence, on en fait une sorte de feignasse, donneur de leçons retiré de tout, spécialiste de l'inculturation et de l'enfouissement, dont on tâche d'oublier le martyre. La Congrégation des petits frères et des petites sœurs paiera cher une telle erreur de lecture.

Il n'y a pas de sainteté light. La sainteté est une conversion du désir. Jamais son abolition. C'est la raison pour laquelle, même si les saints peuvent avoir leur déséquilibre, la sainteté qui commence par ce désir éperdu de Dieu et de l'image du Christ en nous, suppose, en tant que désir réalisé, une intégration psychologique et un équilibre, qui se réalise sans doute à des hauteurs dont on n'a pas l'habitude, mais qui ne peut pas se réaliser dans l'abandon, le mal de vivre ou une ataraxie quelconque, qu'elle soit subie ou suscitée.

Le désir de Dieu, désir de vérité et donc désir vrai ou vrai désir, nous met debout et nous fait vivre, avec "une puissance" comme dirait saint Paul, une intensité que nous ne réalisons pas tant que nous restons étrangers à l'aventure. Pas de déséquilibrés parmi les saints. La sainteté est un équilibre, parce qu'elle est un désir qui trouve son objet et s'y complaît.

Si ce désir vous prend ou vous a pris le cœur, ne croyez pas que vous le satisferez de manière light, en restant dans le monde. Il ne vous laissera pas en paix, vous prendra et vous reprendra, tant que vous n'aurez pas trouvé moyen de tout (lui) donner.

1 commentaire:

  1. Merci pour cette belle et forte (antonyme de light !) méditation !

    RépondreSupprimer